vendredi 4 janvier 2013

LA MACHINE A ECRIRE PETITE

Ecrivaillon génétiquement programmé dès ma conception, comme certains naissent comptables ou princesses monégasques, j’ai jeté mes premiers écrits sur cette machine pour gosses reçue à mon anniversaire, sans doute en 1980. Pour une fois que ma mère me faisait un cadeau intelligent et qui me plaisait…
Composant déjà à ce moment-là de petits journaux à base de photos découpées dans des hebdos et quelques articles idiots où je donnais mon avis sur tout, cette machine à écrire était un rêve pour moi. Je gravissais un échelon de plus dans ce que je savais déjà être ma vocation.
Je pense que cette machine avait été réclamée après une « répétition » chez un oncle qui en avait une, mais professionnelle. Vous savez ce que c’est les réunions de famille quand vous êtes gamin. Pendant que les adultes digèrent le gigot trop cuit en discutant au salon politique, boulot, et ragots sur les autres membres de la famille absents, les mômes s’emmerdent. Et comme là, c’était de la famille plus âgée, j’étais donc le seul enfant. J’avais donc passé la soirée dans un coin avec cette machine qui m’avait fascinée. On appuyait et la lettre apparaissait sur le papier dans un bruit assez sec mais pas du tout désagréable. Je me rappelle que j’avais écrit, entre autre, tous les noms des personnages et armes de Goldorak. Et oui… Comme je l’ai dit ici, j’étais à ce moment-là un beau petit légume de la série.


Anniversaire 1980. Du haut de mes 8 ans, et grâce à cette machine à écrire de marque Petite, j’allais enfin devenir journaliste, comme Superman ou l’Araignée ! Elle était belle, un peu lourde. Un couvercle, faisant office de capot protecteur et range feuille, permettait de la transporter grâce à une poignée. C’était bien pensé.
Une fois maman récompensée par un bisou, je me mis tout de suite à l’ouvrage. Mais avant de rédiger un article, il fallait déjà trouver les lettres. Les premiers temps furent hésitants et le bruit si caractéristique des machines à écrire en fonction, à savoir : « TCHAKTCHAKTCHAKTCHAKTCHAKTCHAKTCHAK PING», résonnait par intermittence dans ma chambre. « TCHAK… TCHAK… TCHAK… TCHAK… TCHAK… » Pas simple de trouver les lettres au début quand on ne connaît pas l’ordre.
Mon apprentissage continuait, j’appris comment faire les majuscules, ce qu’était qu’une tabulation, la barre d'espace. Je me prenais vraiment pour un journaleux. Je tapais mes articles que personne ne lisait à part moi-même et j’avais même écrit un roman complet en une page recto verso…
Hélas, ma formation de jeune journaliste en herbe s’arrêta bien vite. L’une des touches du clavier cassa nette. Je crois que c’était la lettre N. Ça fout la haine… Je vous vois venir pour expliquer ce dégât. Non, je n’ai pas piqué de crise de nerfs, j’étais assez calme à ce moment-là, c’est venu à l’adolescence ça et aussi avec les jeux vidéo… Je prenais soin de ma machine et je ne tapais pas dessus comme une brute. La touche a simplement lâché, restant enfoncée, cassée, définitivement. Et je .e sais pas si vous avez déjà te.té d’écrire sa.s la lettre ., mais c’est assez é.erva.t. O. .e compre.d pas bie. évidemme.t…


Essayant de la réparer moi-même, je démontais le peu qui était démontable, quelques couvercles pour changer le ruban, des trucs comme ça, mais ça suffisait pour voir les entrailles et comprendre ce qu’était que cette machine à écrire : une merde toute en plastique ! On n’était pas loin des gadgets de Pif ! Le mécanisme des touches était en plastique très fragile, totalement inadapté à un usage nécessitant d’appuyer dessus. Même en étant délicat, ça aurait fini par casser. Pour des systèmes contraints à des pressions, tractions ou torsions, il faut du métal, sinon, ça pète.
Mais tout cela avait beau se passer à la fin des années 70, le service après-vente existait quand même. Et comme l’accident s’était produit quelques mois après réception, la garantie fonctionnait à plein. Seulement, même si ce n’était pas le moyen-âge, on était tout de même en 1980. Il avait fallu rapporter la machine au libraire où ma mère l’avait achetée et la confier pour que lui-même l’envoie pour réparation « à l’usine », terme nébuleux qui ne voulait pas dire grand-chose et disait tout en même temps.
De nos jours, sauf grosse couille dans le potage, on compte une moyenne d’un mois avant qu’un appareil ne revienne du SAV. Pour ma machine à écrire, il se passa un an. Oui, vous avez bien lu, un an ! 365 jours, et avec le pot que j’ai, 1981 était sans doute une année bissextile…
Dans les débuts, je demandais régulièrement à ma mère des nouvelles. Quand elle le croisait, le pauvre libraire ne pouvait sans doute lui dire que, ben non, toujours pas de machine « reviendue ». Il fallait attendre. Et attendre, c’est long.


Et puis elle revint, en 1982, je ne sais plus quand exactement. C’était totalement inattendu pour moi, je l’avais presque oubliée. Qu’importe ! Elle était là, et réparée ! Super cool ! Je ressortis de mon tiroir mes feuilles blanches, qui commençaient à jaunir, et en route pour le prix Pulitzer junior ! Trois mois plus tard, c’est la lettre E qui lâcha et de la même façon que la précédente… .t là aussi, j. n. sais pas si vous av.z d.jà .ssayé d’écrir. sans la l.ttr. ., .h bi.n c’.st .ncor. pir. qu. pour la l.ttr. N…
Là, ça suffisait. Trois mois d’utilisation pour un an de réparation, à ce rythme, j’aurais fini le premier chapitre de mes mémoires à 45 ans… Je remis le capot sur la machine et la rangeait définitivement sous mon lit. Jusqu’à la réception de mon Atari ST en 1988, me faisant découvrir le traitement de texte 1st Word Plus, je revins à la bonne vieille méthode de l’écriture manuscrite pour composer mes articles. Au moins, quand le stylo casse, on peut le changer très facilement. J’ai gardé cette machine assez longtemps, je crois l’avoir descendue courant 2008.
Avec le temps, finalement, ça reste un souvenir amusant, tout comme la pub. C’était gonflé pour l’époque de donner de mauvaises idées aux enfants afin de faire « l’école buissonnière » comme on disait alors.
A noter que la dernière machine à écrire mécanique est sortie des usines l’an dernier. C’est terminé, il n’y en aura plus d’autres. Le traitement de texte a tout bouffé, forcément…

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