mardi 9 avril 2013

HOMMAGE AU MOTARD FANTOME / GHOST RIDER



Lors de l’écriture, puis la publication, de mon article sur « MES années Strange » en 2012, je fus assez frustré de ne pas pouvoir y ajouter mon expérience avec les bouquins de la collection Arédit-Artima faute de temps et de matériel graphique suffisant. On va combler un peu cela aujourd’hui en y associant un personnage qui a énormément compté pour moi dans mes lectures de jeunesse : le Motard Fantôme, plus connu sous le nom de Ghost Rider.


Comme les Strange, tous les gens de ma génération ont également lu, au moins, un exemplaire édité par la défunte maison Arédit-Artima. Implantée à Tourcoing, elle n’était pas un perdreau de l’année puisque elle démarra son activité d’éditrice en 1942. Sortant livres de coloriages et autres romans illustrés d’origine française, puis italienne, le succès sera toujours au rendez-vous.
Rachetée par Les Presses De La Cité au milieu des années 60, elle sera débaptisée. D’Arédit, on passera à Artima. Hélas, le changement de nom ne prendra pas et les lecteurs de la première heure continueront d’appeler l’éditeur par son nom initial. Les Presses De La Cité opteront pour le compromis et garderont le nom en l’accolant au nouveau : Arédit-Artima.


Avec l’engouement des comics américains édités par Lug à la fin des années 60, début 70, Arédit-Artima décida de varier un peu son catalogue en empruntant le même chemin mais de façon beaucoup plus agressive. Leur ligne commerciale était simple : « Tout ce que Lug ne veut pas, on le sort. Et on sort également toute la batterie de super-héros de DC Comics ! »
Cet arrivisme permit de se distinguer de par un choix incroyable de titres. On passait des traditionnels Captain America, Superman et Batman, à des héros moins connus à l’époque comme Dracula, Conan, Power Man et tous les groupes plus ou moins patriotiques comme les Vengeurs, les Défenseurs, L'Escadron Des Etoiles, Justice League etc. Cette politique permit à nombre de gosses de l’époque de lire les héros DC, très peu édités en France à ce moment là. Les Wonder Woman, Créature Du Marais, Flash, c’était eux.


Les versions comics d’Arédit-Artima se distinguaient de la collection Lug par leur format, passant du pocket noir et blanc de quatre sous à l’album géant en couleurs tout cartonné. Suivant leur taille, le prix variait évidemment mais d'une manière générale, ils étaient plus chers. Ils avaient aussi quelques défauts. Les couleurs des pages intérieures pouvaient déplaire parfois, avec, au lieu d’aplats, des points. Une technique d'impression qui permettait de faire des économies à l'époque.
Dans le domaine du détail, le lecteur ayant un œil bionique pouvait comparer quelques petites choses. Par exemple, la traduction. Celle de Lug était assez libre, on sentait qu’on avait des mecs derrière qui travaillaient un peu les noms de guerre des super-héros, essayant de trouver des équivalents quand le mot à mot était vraiment trop naze. Arédit-Artima s’en foutaient un peu et faisaient de la traduction automatique avant l'heure comme vous pouvez le voir sur la planche ci-dessous avec le blase du Dr. Octopus.



J’ai dû acheter mon premier bouquin Arédit-Artima en 1980 ou 81, probablement un Captain America ou un Il Est Minuit... L'Heure Des Sorcières. Je les ai découverts dans un cadre bien particulier et marquant : en cours ! Au CM1, classe que j’ai hautement détestée à cause de la prof qui n’était qu’une connasse se vengeant sur nous parce qu’elle n’était pas heureuse dans sa vie privée, nous étions un petit troupeau masculin regroupant des personnalités en devenir très différentes. Les gamins protégés et gâtés côtoyaient des mecs qui « traînaient les rues » faute d’avoir des parents présents et surtout responsables. Mais tous lisaient et aimaient les super-héros et faisaient tout pour les lire. C’était souvent notre seul point commun. Sans ça, jamais nous n’aurions eu l’idée de nous parler.
Chacun ramenait quand il le pouvait son dernier exemplaire en classe, acheté, emprunté ou carrément volé, le planquait dans sa case, le lisait en cachette et, évidemment, le montrait. C’est là que j’ai découvert que je n’étais pas seul. Je me souviens d’un type de la classe qui en ramenait à la pelle et frimait pas mal. Je vis ses exemplaires de Conan, des Vengeurs ; des couvertures toujours très colorées et, bien évidemment, l’illusion du nombre qui donne envie.


Le pli fut rapidement pris chez moi lors des traditionnelles courses du samedi matin avec mon père où nous passions tout d’abord faire le plein de papier chez la libraire. Quand j’avais déjà raflé mes exemplaires mensuels de chez Lug ou les périodiques de Goldorak, et cela allait vite car j’en prenais souvent deux d’un coup, je me jetais sur un bouquin Arédit-Artima. Cela me permettait de varier agréablement « l’ordinaire extraordinaire » et surtout de trouver des trucs assez glauques. De par son statut juridique, jamais Lug n’aurait pu publier à l’époque, ou alors dans une version très censurée, les aventures de Ghost Rider ou Dracula par exemple. Arédit-Artima s’en foutait et n’était pas inféodé à la loi sur les publications pour la jeunesse comme Lug. Le Motard Fantôme fut l’un des ces ambassadeurs du glauque et me marqua profondément.

Je l’ai dit plus haut, les traductions des noms des héros pouvaient varier d’un éditeur à l’autre. Arédit-Artima ne se prenait pas trop la tête à trouver des équivalents un peu plus recherchés. Par exemple, The Beast, devenait « La Bête » chez eux alors que Lug l’appelait « Le Fauve ». Mais pour une fois, Arédit-Artima trouva quelque chose de mieux et ce fut pour Ghost Rider. Chez Lug, il était « le Cavalier Fantôme ». Le cavalier… Un cavalier, c’est quand on est sur des lasagnes, pas une bécane. Arédit-Artima fut plus logique et moderne et notre bon vieux crâne de feu devint « Le Motard Fantôme ». C’était quand même un nom qui en jetait.

L'histoire est simple. Johnny Blaze est un cascadeur à moto se produisant dans une sorte de cirque ambulant tenu par un certain Crash Simpson, lui-même cascadeur, et qui lui sert de père adoptif. Apprenant la maladie incurable de Crash, Blaze décide de vendre son âme à Mephisto pour le sauver. Le pacte conclu, le malade se rétablit très vite et décide pour fêter ça de battre un record de saut en moto. Malheureusement, il se plante et se tue. Le diable vient le soir même réclamer son dû à Blaze qui proteste : Crash est mort, il n’a pas tenu sa promesse. Mephisto répond qu’il n’est pas mort de sa maladie mais d'un accident, le pacte est respecté et son âme lui appartient désormais. Mais au moment où le démon va s'en emparer, Roxanne, la fille du vieux cascadeur mort et qui en pince pour Johnny, le repousse et lui sauve ainsi la vie. Hélas, Mephisto eut le temps de lier l’âme de Blaze à un démon des enfers : Zarathos, le démon de la vengeance.


Désormais maudit, Blaze, qui est probablement l’un des pires losers qui soit dans l’univers Marvel, commence une vie d’errance et de tragédies un peu de la même manière que Hulk dont il est très proche quelque part. Le plus souvent seul, vivant comme un vagabond, il évite le moindre contact avec ses contemporains, sans doute pour les protéger du démon mais se protéger aussi lui-même. Mais on ne peut se cacher de soi-même éternellement et surtout de la violence, qui est une composante de ce monde. Et forcément, Zarathos refait régulièrement son apparition, purifiant les âmes les plus noires de son feu d'enfer, restant toujours à la lisière du bien et du mal sans que l'on sache vraiment de quel côté il est.


Avec une lecture démarrée dès le N°2 je crois, le Motard Fantôme me fascina. Son aspect bien sûr, mais aussi son côté dark. Ghost Rider punissait les « méchants » en leur brûlant l‘âme à l’aide de son feu d’enfer. Les mecs hurlaient comme des cochons qu’on égorgeait et restaient ensuite choqués, immobiles, de vrais légumes. Plus ils avaient été mauvais dans leur vie, plus ils souffraient. C’était sadique mais c’était la juste punition à leurs crimes. On reste dans le trip judéo-chrétien.


Les scénarios bourrins de Michael Fleisher et les dessins sans grande saveur de Don Perlin convenaient parfaitement au gamin sans grande expérience de lectures comics que j’étais à ce moment-là. Je me mis à le dessiner frénétiquement. Je revois le visage de ma mère devant mes copies à main levée représentant cette tête de mort flamboyante. Certes, elle était très fière que son petit garçon soit aussi doué mais s’inquiétait un peu des modèles quand même… C'est pas un peu morbide tout ça ? T'as pas des problèmes toi ? Mais non ma p’tite maman, tu sais bien que je ne ferai jamais de mal à personne. Sauf aux hipsters ! De nos jours, on dirait simplement que le gamin est gothique...
Jusqu'au bout, je lus le Motard Fantôme et peu d'exemplaires m'échappèrent jusqu'à son arrêt en 1984. Je les ai gardés longtemps chez moi après devenant, au fil des années, un de mes classiques.


Lug n'avait jamais vraiment poussé leur Cavalier Fantôme dans leurs pages. On l'avait vu dans Titans, lorsqu'il faisait équipe avec les Champions dans les années 70, et quelques aventures à la pièce, souvent en binôme. Mais rien de plus. Il fallait rattraper ça.
Au début des années 90, Lug, devenu Semic, lança le concept des « Version Intégrale » ou VI. C’était des bouquins bimestriels, sans tranche, avec un papier plutôt médiocre, et contenant assez peu de pages. C'était très comics américain dans la forme finalement. Dedans, deux épisodes d’une série. Semic sortit ses VI sur les plus fameux héros du moment : Thor, Daredevil, Facteur X, Hulk, Serval, que l’on commençait à appeler Wolverine, etc. Ghost Rider fut du voyage, mais attention, ici, point de Johnny Blaze. Ce fut un nouveau Ghost Rider en la personne d’un dénommé Dan Ketch, un type plutôt jeune et que rien ne prédisposait à porter un tel fardeau. On découvrit assez vite que ce Ghost Rider là n’avait rien à voir avec Zarathos.


Ghost Rider fut modernisé sur la forme, un nouveau costard en cuir clouté, une chaîne que ne renierait pas le chevalier Andromède et une nouvelle moto. Le feu d’enfer fut éteint pour laisser place au « regard d’expiation ». C'était un peu la même chose mais sans les effets pyrotechniques... La tête de mort vous regardait droit dans les orbites et tout le mal que vous aviez fait dans votre vie explosait dans votre tête en même temps. Autant dire que le type en sortait complètement lessivé. Les films reprendront ce pouvoir.


Ce Ghost Rider exploitait l’actualité et l’ambiance de ce début des années 90 aux USA avec la violence urbaine, les gangs de rue, le rap, les déchets camés s’attaquant à n’importe qui pour quelques dollars afin de se payer leur dose, l'auto-défense des civils, le fantasme des milices privées engagées pour nettoyer la rue de manière expéditive etc. On vit même le retour de Johnny Blaze himself, un Blaze devenu salement réac entre-temps, et ça allait parfaitement avec la BD. Ce nouveau Ghost Rider n'était rien d'autre qu'un comics sécuritaire. Une sorte de Punisher en version mystique. D’ailleurs, ils firent équipe le temps d’une aventure.


Entamé sous la plume de Javier Saltares, ce Ghost Rider 2.0 était largement lisible mais, malgré quelques bonnes idées et des associations prestigieuses, comme les X-Men ou le Dr. Strange, il lui manquait quelque chose pour vraiment faire son trou. Le déclic vint avec Mark Texeira. Embauché comme encreur aux côtés de Saltares, il en vint très vite à tout dessiner lui-même et avec son propre style. Le résultat fut magistral. Ghost Rider passa du scooter de banlieue trafiqué à la grosse cylindrée rutilante.


Texeira, rebaptisé Tex par la suite, privilégiait les énormes dessins prenant toute la page, avec des gros plans sur les visages. Son style graphique, très noir et torturé, convenait parfaitement à Ghost Rider. De plus, Howard Mackie, le scénariste, péta complètement les plombs à ce moment-là et laissa son esprit imaginer les pires trucs. Pasteur cannibale dévorant sur pieds ses ouailles, mutant psychopathe totalement givré, charniers humains dans Central Park, démons à forme humaine jouissant en temps réel de la souffrance et de la mort infligées à d’autres etc. On était en 1992 et je n'avais jamais lu un truc pareil. Toute cette débauche de violence, le plus souvent gratuite, cette folie furieuse, ce sadisme, on avait clairement dépassé les limites du comics français pour la jeunesse.


Outre Wolverine et Hulk que je lisais également dans la même collection, j’attendais surtout tous les deux mois, avec impatience, mon exemplaire de Ghost Rider. Il devint ma VI préférée, tout comme le Motard Fantôme était ma collection Arédit-Artima favorite. J'aime ce genre de boucle.


Hélas, la série s'arrêta aux USA alors qu'elle cartonnait. Trop de violence? Je ne sais. Naturellement, la VI de Ghost Rider s'arrêta également après 15 numéros. C'était peut-être aussi bien comme ça. Tex avait laissé sa place entre temps à d’autres dessinateurs qui ne remplissaient pas vraiment le contrat. Il est vrai que succéder à un dessinateur ayant une telle force et un style aussi puissant, c'est pas simple.
La fin de Ghost Rider nous laissa un goût d'inachevé. Cela se termina par la mort de Dan, l’alter ego humain de Ghost Rider, qui lui restait bien vivant. Après une dernière histoire assez embrouillée mêlant les X-Men et les Brood, on n'entendit plus jamais parler du plus célèbre des Hells Angels, mise à part d'une éphémère version 2099 peu convaincante produite à peu près à la même période.


Notre motard resta dans son ossuaire jusqu'à ce que Marvel se décide de le porter à l'écran en 2007. Alors que les X-Men ou Spider-Man tenaient le haut du pavé au cinéma, il fallait bien que certains films se plantent. Daredevil, injustement à mon sens, The Punisher, nanar distrayant, et Ghost Rider hélas. Soyons honnête, il ne m'a pas déplu même si ce n'est pas un chef-d'oeuvre, mais j'ai apprécié les ennemis proposés, en particulier Blackheart joué par Wes Bentley, déjà vu dans American Beauty ou Hunger Games et qui assure bien. Ça rattrapait le reste, le scénario très faible, les blagues pourries, le travelo Eva Mendes et surtout l'interprétation sous Tranxène de Nicolas Cage et son insupportable tête de nœud. Pour faire les captures ci-dessous, je n'ai même pas eu besoin de chercher minutieusement dans le film, la moindre scène où il apparaît, il nous la fait.




Le film se fit démolir par les critiques, et les figurines sorties dessus, bien que sympathiques, eurent bien du mal à se vendre. Je les ai presque toutes raflées un an ou deux plus tard à des prix sacrifiés.
Ghost Rider n'a pas cartonné mais n'a pas été un flop non plus, il fut rentable, ce qui laissait augurer qu'une suite déboulerait tôt ou tard. Elle sortit en 2012, produite par le Qatar. Et là, le motard s'en alla percuter violemment le rail de sécurité... Ghost Rider 2, Spirit Of Vengeance est un navet pur jus, ridicule, poussif et ennuyant. Cette vidéo de transformation résume bien tout le film je crois. A éviter.



Oublions ces films et restons sur les comics, ça vaut mieux. Ghost Rider fut, et restera, le seul personnage qui me donna étant gosse l'envie d'acheter une moto "quand je serai grand". Et vu la haine que j'ai pour les deux roues, ce n'est pas rien.

8 commentaires:

  1. Si quelqu'un a des scans du catalogue Général Aredit, publié plus haut, je serai preneur. Merci.

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  2. En fait, Ghost Rider a continué dans les années 2000 !
    D'abord avec Ghost Rider : Hammer Lane en 2001, qui est une sombre merde essayant de manga-iser le personnage ; puis avec l'excellent Road To Damnation (2005) qui ouvre sur l'arc Vicious Cycle, jusqu'ici ce que j'ai préféré du motard. On retrouve Blaze et Ketch (qui se foutent sur la gueule un bon moment), toujours un délire mystique mais qui explore beaucoup plus les délires religieux de l'origine en les retournant sévèrement dans tous les sens (et même de manière carrément intéressante par moments). Beaucoup plus subtil, fun, et intéressant que la période Ketch seul. Le dessin est parfois splendide, d'ailleurs (Road To Damnation notamment, si on est pas allergique au digital painting).
    Rien, mais vraiment rien à voir avec les deux abominables films. Ca se trouve facile en scan VO.

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    1. Merci pour l'info, je ne savais pas. Faudra que je voie ça.

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  3. C'est très Nouveau Shamanic tout ça.

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  4. Je ne sais pas ce que vous trouvez à cette série de merde. A part quelques épisodes des années 70, Ghost Rider refoule du goulot sévère. Un concept amusant totalement foiré comme c'est courant chez la Marvel, qui visiblement n'a jamais vraiment su que faire de cet antihéros.
    Même si ce sont deux affligeantes daubasses (et le premier quoique totalement nul ressemble à Citizen Kane par rapport au second) les flims sont en terme de niveau tout à fait en adéquation avec les comics.
    Punisher, Daredevil, Ghost Rider 1 ... Wouah tu es indulgent avec tant de navets qu'on va finir par croire que tu n'as aucun goût :D :D

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    1. Je pensais que tout le monde le savait déjà... :D

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    2. Faux ! Je pensais que tu avais MAUVAIS goût, ce qui est très respectable. Hélas le diagnostic final est plus grave dirait-on ... :F

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